Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 13:05



J’étais préoccupée. Les rues défilaient mais je n’y prêtais aucune attention. Pour m’éviter l’appréhension de la rencontre je tripotais le mini smarty et m'efforçais à penser à Esteban.
“personne” ne m’a effacé la mémoire. Depuis cette révélation je sentais s’installer la certitude du contraire. Ça expliquerait bien des choses. Mais alors Esteban me mentait. Comment pouvait-il en être aussi sûr ? Ça datait d’avant notre première rencontre. Il en savait plus sur moi qu’il ne m’en disait. Pourquoi ? J’étais peut-être une Navajo qui avait préféré s’effacer la mémoire ? Mais pourquoi ne me le disait-il pas ?

- Riverside café... Vous êtes arrivé à destination.

Je n’avais pas vu le temps passer.

J’allumai le smarty et le serrai dans ma main gauche, bien décidée à ne plus le lâcher. - Mais, s’il me mentait, pouvais-je vraiment lui faire confiance ? - “Toi et tes convictions...” - Je l’avais bien entendu. Que voulait-il dire ? - J’avais la conviction que oui -

Je descendais sans me presser la petite vingtaine de mètres qui séparait la REAA du Riverside. J'arrivais juste à l’heure. Une dernière hésitation : l’angoisse montait. J’inspirai profondément et fis signe à la porte de s’écarter.

Partager cet article
Repost0
24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 23:18

 

Je m’étais rafraîchie et avais consulté mes nouveaux messages. Papymeal confirmait qu’il m’attendait ce matin. Il y avait de nombreux emails m’interrogeant sur mon absence. Tout rentrerait dans l’ordre ce soir, du moins je l’espérais.
 
Je ne retrouvais effectivement pas ce message d’avertissement qui m’avait tant troublée, et j’en était presque déçue. Je me souvenais à peine de la formulation de son sujet et de son contenu. J’avais peut-être rêvé ? J’étais dans mon bain, détendue et l’esprit ailleurs... Peut-être était-ce une crainte enfouie qui avait envoyé ces signaux à ma conscience ?
 
J’avais enfilé un T-shirt-robe blanc imprimé “memories”, une veste légère froissée grise à manches pliées, un pantalon en jean collant noir et des sandales à déco turquoise vert-sombre. Sobre et détendu, convenable pour une première (véritable) rencontre, et sans gène si je devais faire des mouvements rapides. J’étais parée.

Je me dirigeai vers la station CarPat de mon quartier. Il restait une ‘Pat disponible, je n’aurai pas à attendre.

Les CarPat (contraction de “car-part”) étaient des portions de véhicule de transport public. Ils n’offraient qu’une seule place et étaient entièrement régis par le réseau. Ils pouvaient se déplacer de façon autonome sur les REAA, mais l'intérêt de leur forme hexagonale était de leur permettre de s’assembler pour former des véhicules plus longs et plus larges. Tout au long de leurs trajets, sans les arrêter, le réseau les groupait et les dégroupait selon leurs destinations. Un gros véhicule de plusieurs voyageurs était plus simple à gérer que plusieurs petits véhicules, plus économique à propulser et, sur les portions à grande vitesse, ces RuchMobiles offraient moins de prise au vent et devenaient beaucoup plus stables. Elles ne faisaient jamais plus de trois alvéoles de large mais leurs longueurs étaient théoriquement sans limite. Leurs géométries variaient en cours de route pour s’adapter aux contraintes de la circulation et, bien sur, aux destinations des voyageurs.

Il y avait toujours une station à côté d’un DP. Sur le bord de la voie, trois places de ‘Pat que le réseau maintenait garnies, et trois autres qu’il libérait pour les arrivées. Il se servait de la disponibilité des DP pour placer des CarPats en réserve. Lorsqu’il n’y avait plus de place disponible, il les faisait circuler à vide vers des points d’appel sollicités. Il n’y avait jamais plus de deux minutes d’attente et, aux heures de pointe, on voyait des tartines d’alvéoles suivre tranquillement les courbes des chaussées, imperturbables et ponctuelles.

J’effleurai la porte. Elle s’ouvrit et je m’installai sur le siège, devant la plaque de contrôle.
- Indiquez votre destination
- Riverside café

Une carte apparu localisant précisément le Riverside.
- Riverside café... Validez votre destination.
- Valider
- Coût du trajet : $2.35... Acceptez le débit
Je fis mon signe
- Débit accepté... Temps de trajet restant : 12 minutes

Il ne me restait plus qu’à m’installer confortablement et à profiter du paysage


Partager cet article
Repost0
22 octobre 2012 1 22 /10 /octobre /2012 22:29

 

Il connaissait mon petit “commerce” sur les sites d’holo-présence.
 
Je ne m’étais jamais résolue à vendre mon corps, physique ou virtuel, et je m’étais rabattue sur toutes les possibilités de monnayer une compagnie platonique. Entre toutes, c’était le columbarium qui rapportait le plus avec le moins de risques de désirs sexuels.
 
Je me promenais dans les allées virtuelles en observant les prénoms et les dates de naissance et de décès inscrites sur les “dernières demeures” les plus souvent décorées. Lorsque qu’il s’agissait d’une défunte d’à-peu-près à mon âge, j’observais alors les allées et venues de ses visiteurs. Puis je sélectionnais un homme seul et provoquais une “rencontre fortuite” au hasard d’un croisement. Je lui disais que je venais de perdre quelqu’un qui, comme par hasard, avait sensiblement le même âge que lui et le même lien de parenté qu’il avait avec la disparue.
Le plus souvent la discussion se poursuivait au chatholo où nous nous retrouvions par la suite régulièrement. Une des difficultés de cette activité était de bien gérer les rencontres... Les hommes sont si possessifs !

Il suffisait que je lui parle de Papymeal, du rendez-vous et du message pour qu’il comprenne la situation.

Il sortit son smarty, un modèle que je ne connaissais pas, un sept pouces il me semblait, pratique pour l’avoir toujours sur soi, à la coque banale mais plus épaisse que la normale. Il tapota à sa surface, fit des gestes, des “hum !”, re-tapotage et re-des-gestes.

“bon...”  Il plaça l’appareil à la verticale, ses doigts aux endroits appropriés, et tira de ses deux mains, à gauche et à droite, sur le smarty qui tripla de largeur. il le posa devant lui, sur un petit rebord. Des touches à résistance pulsée flottaient au dessus de sa surface, le transformant en un véritable clavier physique. Un large affichage était projeté à vingt centimètres du clavier.

J’observais de nombreuses petites fenêtres où défilaient des codes, des adresses, des noms, des nombres, trois fenêtres principales avec lesquelles il jonglait et qui lui servaient pour ses explorations.

- Bien bien...
- Alors ? -  dis-je, un peu perplexe.
- Une bonne nouvelle. Et une... moins bonne.
- Oui ?...
- La bonne, c’est que Papymeal se connecte depuis un point fixe unique et non détourné. Il s’appelle Georges Brun et habite au 32 rue de l’Effort... qui se trouve pas très loin du café Riverside.
- Cool !
- La “moins bonne”, c’est que je ne trouve pas de trace du message dont tu m’as parlé. Nulle part. Ni dans tes effacés, ni dans les archives de ton hébergeur.

Je le regardais, très surprise.

- Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Ça veut dire que ta mémoire ou ton imagination te joue des tours, ou alors...
- Ou alors ?
- … que nous avons affaire à une fine lame...

Cette dernière phrase avait eu du mal à sortir.

- Qu’est-ce que tu en penses ?
- Mmm... Je pense que les deux sont très possibles (il évita mon regard)
Mais le risque d’un piège est à prendre au sérieux... Pour dix malheureux dollars, c’est prendre beaucoup de risque inutilement.

Je le pris par la main et le forçais à me regarder :
- Tu sais que ça n’est plus une question d’argent ! Je dois y aller... J’en ai... la conviction ! Je dois savoir !

Il marmona :
- Toi et tes convictions...
- Quoi ?
- Tu as raison : Suis tes convictions... Mais laisse-moi te surveiller.

Je lui souris :
- J’espérais que tu me dises ça !

Il me rendit un bref sourire. Je me levais :
- Bien... Je retourne chez moi... pour me changer et... Je pense dicter un MEP à Alice et Aurore (mail à expédition programmée) qui sera envoyé ce soir si je ne l’annule pas avant... Pour qu’elles connaissent mon histoire si... il m’arrivait malheur... Et je prendrai mon smarty pour qu’on puisse se contacter.
- Non...
- Comment “Non” ?
- Tu retournes chez toi pour te changer, mais ton message à tes amies, tu vas l’envoyer d’ici... Et je vais te donner ce qu’il faut pour rester en contact.
- Bon... Si tu veux !... Pour quelqu’un qui ne veut pas voir de smarty ici, tu es drôlement équipé !
- Ça n’a rien à voir... Nous avons notre propre réseau...

Je n’en revenais pas :
- Votre propre réseau ? Comme l’opérateur national ?
- Ça fait partie des secrets que je ne peux pas te détailler... Si tu parlais ce serait dramatique !
- Et si quelqu’un de ta bande parlait ?
- Il ne parleront pas
- Comment peux-tu en être aussi sûr ?
- Parce qu’ils préféreront s’effacer la mémoire plutôt que de trahir un secret aussi sensible.

J’étais abasourdie.
- Vous pouvez vous effacer la mémoire ?
La bouche ouverte, les yeux écarquillés plongés dans ceux d’Esteban, ma question suivante affichait sur mon visage, il n’était pas besoin de parler.

Il se mordit les lèvres mais ne paraissait pas vraiment regretter sa dernière phrase. Lui aussi m’observait. Il semblait espérer une réaction particulière... Il finit par dire :
- Non... nous n’avons pas effacé ta mémoire.
- Qui alors ?
- Personne...

Nous nous regardâmes intensément et nous interrogions sans un mot.
Une alerte retentit sur son smarty. Il le replia et me le montra :
- Tu dois retourner sur le banc, tu es bientôt de retour.

En effet, je me voyais atteindre le carrefour précédant celui du tube, sur le niveau 1.
- Jolie RAI ! (Réalité Augmentée Inversée). Vous avez fait des progrès : je suis plus belle qu’en vrai ! Et ma coupe ! et mon T-shirt ! Ils sont tout nouveaux ! vous les avez synthétisés en instantané ?

Il sourit :
- C’est pas c’qu’y a de plus dur... Rien que sur ce petit trajet il y a eu vingt nouvelles caméras de surveillance depuis ton dernier passage, il y a trois mois... soit quatre-vingt-quinze scènes de RAI à générer en simultané ! (grand sourire)
Si on te pose la question, tu as remonté la rue Graham, poursuivi sur la rue Régent en passant par le square, tu es restée dix minutes devant la boutique de Chez Médina et tu es revenue ici par les rues Besancenot et Dutilleul.

Nous nous assîmes sur le banc. Il me confia un tout petit smarty de rien du tout, en me disant :
- Avant d’entrer dans le café, tu l’allumes comme ceci... Nous aurons ta position et pourrons suivre votre conversation. Si tu veux un peu d’intimité, il te suffit de toucher l’écran ou de le poser vers le bas. Si tu penses que tout va bien, tu peux l’éteindre comme ceci... Mais je te conseille de le laisser allumé !

Je l’allumai :
- C’est quoi cette lettre “A” à côté de la force de réception ?
- C’est le nom du réseau.

Je n’en demandais pas plus. J’avais juste le temps de dicter mon MEP sur son super-smarty :

“Chère Alice et chère Aurore, si vous recevez ce message...


Partager cet article
Repost0
17 octobre 2012 3 17 /10 /octobre /2012 23:17

 

Je la suivais.
 
Même à l’époque où je venais tous les jours, il était rare de le retrouver trois fois de suite au même endroit. C’était, pour lui (et pour sa bande), un principe philosophique : rien n’est à soi, tout est à tous. Et cela commençait par l’endroit où l’on se couche.
 
La puissance et l’étendue du réseau permettaient de n’utiliser qu’une minuscule unité portable pour n’importe quel type de besoin informatique, du consultant lambda jusqu’au hacker, en passant par le professionnel et le joueur. Les applications et les données hébergées, traitées par les hyperprocesseurs, avaient depuis longtemps disparu des machines personnelles.
Sur la passerelle, quatre bornes de recharge sans contact permettaient de se s’affranchir totalement des contraintes d’emplacement physique.

Elle me conduisit jusqu’à un renfoncement sous une avancée de végétation en surélévation. Un rideau-clim avait été ajouté pour offrir un minimum d’intimité et un “climat” supportable à l’occupant du renfoncement.

Esteban écarta le rideau et m’apparut, les vêtement, le visage et les cheveux froissés. Il avait sans doute dormi tout habillé et on venait de le réveiller pour lui annoncer ma venue. Les yeux cernés et plissés, il ouvrit les bras : “Petite fleur ! Tu es bien matinale !”

Rapidement, il m’avait appelée “petite fleur” - “pourquoi ‘petite fleur’ ?” - “parce que tu es belle comme une fleur !”. Mais, bizarrement, je comprenais “petite soeur”... Je mettais ça sur le compte de ma mémoire perdue qui me privait des souvenirs de ma véritable famille. Je voyais un frère, une soeur, un père, une mère, dès que quelqu’un m’offrait sa confiance.

“Un café ?” Me dit-il, le sourire au lèvre et l’oeil (plissé) brillant.
“Volontiers !” Dis-je, après avoir hésité trois secondes.

Il n’avait visiblement pas encore récupéré toutes ses pensées des profondeurs de son sommeil : son plaisir de me revoir, qui, à l’accoutumée, s’éteignait pour laisser la place à une mine sévère perdue dans je ne sais quels souvenirs douloureux, restait, cette fois-ci, bien affiché lorsqu’il fit le service : deux verres en quartz auto-chauffants dans lesquels il souffla et qu’il frotta dans ses mains, de l’eau d’entre-deux conservée dans une bouteille filtrante, et un cachet pour chacun.

Il me tendit un café encore pétillant : “Alors, dis-moi, qu’est-ce qui t’amène si tôt ?”
Ses yeux étaient toujours mouillés d’émotion (ou de sommeil ?) et son sourire ne le quittait pas.

“C’est très personnel...”

Il fit un signe aux gens de sa bande qui avaient commencé à se réunir autour de nous en conservant une distance “d’attente”, un verre de quartz chaud à la main. Ils s’en retournèrent immédiatement à leurs occupations.

- Est-ce que tu m’as envoyé un email sans expéditeur hier soir ?
- Oh non ! Je ne t’ai rien envoyé ! Tu connais bien nos règles ?
- Oui, je sais que ça ne peux pas être toi... Mais je devais poser la question pour en être complètement sûre... Parce que c’est trop grave !

Son visage s’assombrit : “Dis moi tout...”


Partager cet article
Repost0
29 septembre 2012 6 29 /09 /septembre /2012 17:07

 

Les manèges de véhicules réseau-guidés, animés par les REAA (Routes Electromagnétiques à Annihilation d’Attraction ), reprenaient doucement leurs farandoles journalières. Les conduites manuelles n’étaient tolérées qu’au niveau du sol mais, en cas d’accident responsable, les assurances qui vous couvraient se faisaient rares et chères. Si bien que seuls quelques fortunés et quelques rebelles se permettaient ce type de conduite.
Le pilotage “aérien” était systématiquement assuré par le réseau qui déconnectait la conduite manuelle au delà de cinquante centimètres. Les véhicules de livraison, les utilitaires et les particuliers devant rejoindre des zones non desservies par les REAA, étaient équipés de roues à pneumatiques. Ces véhicules, plus onéreux à l’achat et à l’entretien, étaient réservés aux professionnels et à une certaine “classe”, celle-là même qui pouvait s’éloigner des villes.
Le réseau étant capable, en une fraction de seconde, de dévier un flux de smartCars au dessus d’un autre, les accidents étaient rarissimes et relevaient le plus souvent d’une erreur de conduite manuelle contre une autre manuelle.
 
J’atteignis le tube et m’engageais sur son escalier-vis. A mesure que je montais, l’air et l’odeur se modifiaient. Au loin, entre les immeubles qui barraient l’horizon, je devinais les rougeurs du soleil levant. Il faisait déjà chaud. L’été s’accrochait à la moindre surface. La peau du béton sec se fissurait à de nombreux endroits. Son haleine crayeuse emplissait mes narines et asséchait mes yeux, mes lèvres, mes mains... Dans les appartements, les espaces de vie, dans les tubes et dans les rues couvertes on ne s’en rendait pas compte.
 
Sur le palier entre-deux, je m’asseyais immédiatement sur le banc le plus observé par les caméras et j’attendis. Après quelques minutes une voix m’annonça :
“Tu peux bouger, les vidéos sont sous contrôle”.
RayMoon s’avança vers moi, souriante et les bras ouverts :
“Sian ! ça fait si longtemps ! Tu nous évites ?”
Je l’embrassais : “Bien sur que non !”
Elle me pris par la main : “Viens, Esteban t’attend !”


Partager cet article
Repost0
25 septembre 2012 2 25 /09 /septembre /2012 15:39


 
Mon smarty était resté éteint toute la nuit et je le laissais à sa place, sur la table, sans l’avoir rallumé. En fermant la porte derrière moi, j’avais l’impression d’être nue. Sortir sans smarty me paraissait aussi peu naturel que sortir sans petite culotte. Esteban avait fixé la règle : “Si tu veux me voir, tu viens sans aucun appareil”. Aujourd’hui je le comprenais et je l’approuvais.

J’avais fait sa connaissance peu de temps après mon installation dans le quartier. Curieusement, les entre-deux m’attiraient et j’utilisais volontiers les escaliers à la place des tubes, simplement pour pouvoir les traverser ou y flâner. Il m’arrivait de m’y réfugier et d’y rester des heures, pour ne penser à rien, me retirer de l’espace et du temps, ou pour me plonger dans un smartbook.

Il était arrivé par derrière, sans faire de bruit, et m’avait fait sursauter en me disant “pas de ça ici”.

Je m’étais levée d’un bond et retournée. En me voyant de face il avait ouvert grand la bouche et ses yeux s’étaient éclairés. Son visage s’était ensuite refermé mais il eut, dès lors, des attentions de grand frère à mon égard.

Lui et sa bande étaient des pirates. Pirates informatique, pirates du réseau, pirates de la ville. Ils utilisaient des logiciels et des machines non homologués. Ils avaient des moyens impressionnants : Ils m’en montraient beaucoup et m’en cachaient bien davantage.

Esteban me disait : “C’est un secret. Ne parle jamais de ça... à personne !”

Je ne comprenais pas, alors, pourquoi il me faisait confiance mais, en retour, il eut droit à mes confidences, pour peu nombreuses et intéressantes qu’elles furent. Ainsi je pouvais, moi aussi, ajouter : “C’est un secret. Ne parle jamais de ça... à personne !”. Et nous riions.


Partager cet article
Repost0
22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 11:16


Ce matin là je me réveillais de bonne heure. L’angoisse de la veille avait troublé mon sommeil et j’étais encore très agitée lorsque j’ouvris les yeux. Je me levais malgré la fatigue, je ne pouvais plus rester couchée.
Je me versais une tasse d’eau frémissante et y lâchais deux cachets de café. J’avais besoin d’un coup de fouet. J’entrouvris les stores et regardais les lueurs blafardes de la ville obscure. Je m’assis dans mon canapé. La tasse sur la table basse faisait des bulles brunes dans une eau devenue noire. Je la pris entre mes mains. Les vapeurs de café pénétraient dans ma tête et se faufilaient entre mes neurones éteints. Je bus une gorgée.
 
Je réalisais que j’avais totalement zappé l’information qui me disait “c’est un piège” en ne retenant que l’intrusion dans ma vie privée. Sans doute parce que j’avais du mal à croire à un piège venant de Papymeal. Sans doute parce que, dans cette histoire, la piégeuse c’était moi. Sans doute aussi parce que mon précieux anonymat venait de voler en éclat.

Une deuxième gorgée.

Le risque d’un piège était pourtant possible et, dans ce cas, cet espion me voulait du bien. Dans le cas contraire il s’agissait d’un animal fielleux dont l’emprise sur moi ne faisait que commencer - Qui sait jusqu’où il pouvait aller ? -

Café.
Je serrais la tasse plus fort et la gardais sous mon nez, près de mes lèvres.

Il me paraissait difficile d’identifier mon espion et de remonter jusqu’à lui pour connaître ses intentions. Il était par contre aisé de vérifier la sincérité de Papymeal. Il me suffisait d’aller à ce rendez-vous.

Deux gorgées.

Mais je devais prendre des précautions. J’irai d’abord voir Esteban, le chef des Navajos.

Je reposais ma tasse vide.


Partager cet article
Repost0
21 septembre 2012 5 21 /09 /septembre /2012 08:01


A Papymeal maintenant.
Ma décision avait mûri lentement et j’étais à présent convaincues que c’était une bonne idée de le rencontrer en chair et en os. Pour une telle occasion, nous pouvions bien nous passer de nous “voir” jusque demain. Un simple petit texte suffirait. Je dictais :
 
“Cher Papymeal,
Je ne suis pas présentable, et je te réponds par texte plutôt que par vidéo.
Je ne te verrai pas ce soir mais j’accepte de bon coeur ton invitation de demain matin.
Je n’ai pas l’habitude de rencontrer physiquement mes contacts du réseau, mais pour toi je ferai une exception. C’est vrai que nous avons beaucoup à partager. Et l’idée de nous retrouver dans un endroit public me rassure.
Bonne soirée et à demain !”

En général, lorsqu’on adressait un message vidéo, c’est qu’on espérait une vidéo en retour. Mais, bien que le mode vidéo fut activé par défaut, nous étions nombreux à préférer le mode texte. En fait cela dépendait beaucoup de l'interlocuteur et des circonstances.

Rosebud m’avait envoyé un holomail :

“Bonjour Angelina,
J’irai me recueillir ce soir au Columbarium.
Si tu y fais un saut, sonne-moi, nous pourrons nous retrouver au château d’eau ?” (déviation du mot “chatholo”)

Il avait perdu sa femme et reportait ses sentiments sur moi. Il gardait toujours une distance convenable dans son comportement et dans ses mots, mais son regard en disait long. Dès notre première rencontre j’eus cette sensation d’adoration. Au début cela me gêna et je faillis cesser de le voir. Mais, petit à petit, me me suis sentie en confiance. Aujourd’hui il maîtrisait mieux son regard et je pouvais lui parler sans détours, bien que nous n’ayons jamais eu de rencontre physique.

“Répondre à Rosebud”

La vidéoCam s’alluma dans un soleil couchant. Je vérifiais que rien ne dépassait de la mousse à part ma tête et mes bras.

“Bonsoir Rosebud !
Je passerai ce soir au Columbarium, mais j’ai de nombreuses visites prévues et tu seras peut-être déjà parti lorsque j’aurai terminé.
Si tu es encore là, je te promets de te sonner.
Bisous !”

Un nouveau message :

“Attention, vous courez un grand danger”

Il n’y avait pas de nom d’expéditeur “encore un spam !”

Je faillis le supprimer sans même le regarder, comme tous les spams, mais ce titre m’avait intriguée et je fus surprise de m’entendre dire : “Lire”

“Sian, ne va pas demain à ton rendez-vous avec Papymeal47 : c’est un piège !”

Mon sang se figea. Personne ne pouvait connaître à la fois mon vrai prénom et mes activités au Columbarium ! Encore moins mon rendez-vous avec Papymeal ! Quelqu’un m’espionnait sur le réseau ! Et s’il pouvait savoir ça : il pouvait tout savoir !

Je me sentais violée dans mon intimité : “éteindre tout”

Les murs devinrent noirs. Je sortais de mon bain en cherchant une serviette à tâtons.
Je m’essuyais en aveugle, enfilais un peignoir et passais dans la pièce principale: “éteindre tout”.
Je m’assis en boule dans mon canapé.

Le réseau resta ainsi éteint toute la soirée et toute la nuit. Pour plus de sûreté j’avais débranché tous les appareils qui possédaient une prise.


Partager cet article
Repost0
15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 23:40

 

Sur l’horizon de mer en face de moi, entre deux palmiers nonchalants, la liste des messages s’affichait.
Treize nouveaux depuis la dernière consultation smarty, auxquels il fallait ajouter les messages de la journée dont je n’avais fait que consulter les intitulés.
Je repérais rapidement mes “clients” du columbarium et commençais par visionner les messages auxquels je n’allais pas répondre - parce que j’avais prévu de rencontrer leurs auteurs ce soir en holovision -
Il était important de connaître leurs dernières paroles avant de les retrouver.
 
Les messages holographiques s’affichaient en vidéos plates : Tous les murs, cloisons, portes et fenêtres avaient beau être, à la fabrication,  imprimés de molécules électrochromiques, permettant de se servir de n’importe quelle surface comme d’un écran, l’équipement d’appliques holoview n’était pas compris dans l’installation standard des salles de bain du zéro.
 

+ PIERREP33 :
Désolé, je ne viendrai pas ce soir

… Toujours aussi bref Pierre ! Il ne viendra pas. C’est bon à savoir.

+ MAROUSKAN :
A ce soir Angie, j’ai hâte de te revoir !

… Il est gentil. Je l’aime bien.

+ ERASTINO :
Angelina Bella

Ange miséricordieux
Assèche mes larmes,
Calme mon âme,
Apaise mes yeux.

à bientôt !

… A ce soir Erastino... Je lui avais dit que j’aimais la poésie et, depuis, il ne se passait pas un jour sans qu’il me déclame un petit poème. C’était parfois embarrassant et je ne savais pas bien quoi penser de tout ça, ni s’il fallait lui dire d’arrêter ?

+ LIONELVAL :
Angelina, j’espère que tu passeras comme prévu. Je te montrerai les holos de ma fille dont je t’ai parlés.

… Oui je me souvenais... Les derniers repas de famille et les promenades au lac qui s’en suivaient... Avant ce terrible accident... Pauvre Lionel. C’était un brave type. Il aurait pu être mon père...

… Mon père...
J’en avais que très peu de souvenirs, tout comme de ma mère ! Une vague image de leur visage, tout juste une émotion, une sensation d’amour passée mais encore poignante. J’ignorais presque tout d’eux. Je ne savais pas où les trouver ni s’ils étaient encore vivants.
Je m’étais réveillée il y a trois ans dans un lit d'hôpital, amnésique, vide comme une cruche cassée, Alice assise à mes côtés.
Elle m’avait raconté qu’elle m’avait trouvée, une nuit, évanouie au bas de son immeuble. Elle avait appelé les urgences et m’y avait accompagnée.
On fit des recherches dans les bases du réseau pour retrouver mon identité, mais c’était inutile, au premier contact des scanners médicaux le réseau aurait du me reconnaître : j’étais une inconnue.
En trois ans, la mère d’Alice devint, pour moi, comme une mère adoptive, et ses amis : mes amis. Je me remplissais de nouveaux souvenirs. Les anciens, parfois, me revenaient par bribes. Je me rappelais : j’avais un frère et une soeur, je m’appelais Sian. Un visage terrifiant se plantait régulièrement au milieu de ma mémoire. Ça ressemblait plus à un masque, à une forme blanche et floue, sans yeux, sans nez, sans bouche : sans expression, mais c’était pourtant bien l’effroi que je ressentais en sa présence.
Je me remplissais sans savoir si ces souvenirs anciens étaient vraiment anciens ni s’ils m’appartenaient. Peut-être récoltais-je le souvenir d’évènements futurs ? peut-être était-ce la mémoire de ces corps que j’habitais pendant mes “voyages” ?

Aurore voyait dans ces mystères des arguments supplémentaires pour étayer la thèse du “robot”

Tous les prélèvements et les analyses qui furent faits sur moi à cette époque me confortaient dans l’affirmation que je n’en était pas un (terminé, c’est fini, on n’en parle plus, la question est réglée, on arrête avec ces bêtises)


Partager cet article
Repost0
15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 09:45

 

La domo, qui grâce au réseau suivait tous mes déplacements et connaissait mes habitudes, sachant mon arrivée proche, avait enclenché la ventilations du studio. Elle avait ensuite réglé la température et l’inclinaison de poursuite solaire des stores-miroirs, sélectionné une musique et un parfum adaptés à mon état.

Mon smarty (comme tous les smartys dignes de ce nom) étant équipé de capteurs biométro-physiologiques - le rendant inviolable et “indérobable” - envoyait un check-up médical à chaque contact.

J’avais fait machinalement mon signe sur la porte d’entrée qui s’était déverrouillée et s’ouvrait sans bruit.

Une odeur de jasmin m’accueillait avec une douce fraîcheur dans une lumière orange printanière.
Dans la salle de bain, la baignoire finissait de se remplir d’une eau bleue et moussante.

“Bonsoir Sian. Vous avez sept nouveaux messages.”

“Tout à l’heure... Dans mon bain”

Je me déshabillais rapidement, balançais mes vêtements et mes chaussures dans le placard-dressing-frigo (en prenant soin de pendre le pantalon et la chemise qui devaient être défroissés)

Puis je me coulais dans un bain très chaud. Il paraît que ça n’est pas bon pour la santé, mais j’adore ça.

Une petite brise venait me caresser de visage. Les quatre murs et le plafond diffusaient “réalité des îles” : le ciel, la mer bleue et son écume blanche sur une plage de sable doré, le soleil, les palmiers bercés par le vent. Le chant des vagues agrémenté de quelques cris d’oiseaux marins achevait de me détendre.

Au bout d’une demi-heure de “détente profonde” la domo m'interpella :

“Vous avez dix nouveaux messages”

Ces immersions me faisaient perdre le fil de la réalité.
Je tentais d’ouvrir les yeux. Les paupières inférieures, lourdes et rigides firent un “clac !” en se dépliant. Je les refermais.
Je restais plongée, l’esprit lointain, dans la ouate des vapeurs cotonneuses. Je n’étais plus ici, sans être vraiment ailleurs.

Il m’arrivait souvent de “partir” ainsi. C’était une sorte de rêve plus ou moins éveillée.
Je commençais par m’oublier et oublier mon corps. Je voyageais ensuite, non pas vers des destinations, mais vers des sentiments, des sensations, des sons, des images, des connaissances qui semblaient être les miennes mais qui, pourtant, m’étaient totalement inconnues. Parfois (mais plus rarement) j’avais l’impression de partager le corps d’une autre personne dans un ailleurs et un autre temps.
Des bribes de vies antérieures ? des visions du futur ? les divagations d’un cerveau malade ?

J’avais fini par me convaincre que ça n’était pas la normalité, à force de rencontrer les réactions sceptiques ou moqueuses de mon entourage : “T’es pas bien finie !”... “Tu devrais voir un psy !”... “Arrête le clech !”... “Si ça se trouve, t’es un robot connecté au réseau !”. Ce à quoi je répondais : “Si ça ce trouve, nous sommes tous connectés au réseau !”... et, curieusement, les rires cessaient.

Mais j’avais repoussé la théorie du “robot”, même si je savais qu’il était possible de construire des androïdes très convaincants ! Je crois que je m’en serais tout de même rendue compte... et les check-up médicaux aussi !

Ces voyages en esprit ne me gênaient pas, au contraire, ils me procuraient un équilibre, un “complément alimentaire” dont je n’imaginais pas pouvoir me passer. Il étaient devenus ma normalité.

J’étais trop bien.
Je ne pouvais me permettre une telle quantité d’eau aussi chaude qu’une seule fois par semaine, et je comptait bien en profiter.

...
Après un deuxième rappel je rouvrais les yeux :

“Oui... Consulter maintenant”


Partager cet article
Repost0