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19 août 2012 7 19 /08 /août /2012 00:25

 

Son étourdissement avait été de courte durée. Elle avait retrouvé toute sa vigueur lorsque, en nous quittant, elle m’avait adressé un féroce “A l’avenir, jeune femme, vous respecterez le règlement !”

D’ordinaire, je n’aurais pas manqué de la renvoyer au paragraphe du règlement la concernant, mais j’étais trop soulagée par l’heureuse issue de ce mini drame pour ajouter quoi que ce soit qui aurait pu ternir mon plaisir.

 

Je m’étais engagée dans le tube.

 

Je n’habitais pas “sous le soleil”. Les loyers n’y étaient pas à ma portée.

 

Les groupes d'immeubles étaient tous construits sensiblement sur le même modèle : des barres de deux-trois entrées “semées au hasard”. Les “espaces de vie” laissés entre les immeubles étaient aménagés en espaces-verts, aires de jeux, amphithéâtres, fontaines et ruisseaux artificiels.

 

Les véhicules y avaient un droit d’accès très restreint. Des DP ‘Distributeurs-Parqueurs’ étaient disposés autour de chaque zones d’immeubles. On introduisait sa carte de DP et le parqueur s’occupait du reste. La même carte servait à récupérer son véhicule.

 

Les immeubles n’étaient pas équipés d'ascenseurs. En contrepartie ils étaient organisés de manière à n’avoir jamais besoin de marcher plus de quatre étages pour entrer (ou sortir de) chez soi.

 

“Sous le soleil” quatre étages émergeaient du sol. A cela s’ajoutaient huit étages en “sous-sol” desservis, huit étages plus bas, par leurs propres réseaux de voies et les mêmes DP en bordure. Chaque DP s’étendait du niveau 0 ‘inférieur’ au niveau 1 ‘supérieur’.

 

Le terrain “naturel” était situé au niveau 0 et disposait donc “naturellement” de ses espaces de vie. Les plateformes de terrain ajouté au niveau 1 était “dissimulées” à la vue des étages inférieurs par des jeux de miroirs qui participaient au refroidissement, au chauffage et à la production d’électricité.

L’eau de pluie, après avoir traversé la terre du niveau 1, était ajoutée aux autres eaux récupérées, filtrée et redistribuée en pluie sur les zones de végétation du niveau 0.

 

Cet apport d’eau dirigé et ce ciel recomposé devaient rendre le “climat” identique, pour le zéro et pour le un. Ce n’était pourtant pas le cas. La végétation était différente, un peu plus “tropicale”. Les comportements, les humeurs étaient différentes. Pour les plus anciens qui avaient vécus tout leur “habitat” dans une même zone, cela se voyait sur leur peau et dans leur façon de se tenir et de marcher.

“Sous le soleil” on était un peu plus sec, anguleux, exubérant, on était un peu plus brun, on semblait plus heureux. Une chanson disait “Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil”. Ceux du niveau un avaient le soleil et laissaient la misère aux autres.

 

Les enfants du zéro ne ressemblaient pas aux enfants du un.

 

Depuis toute petite j’avais pris l’habitude de me faire appeler “la zéro” ou “la pomme de terre”, à tel point que j’avais plus l’impression qu’il s’agissait d’une adresse que d’une insulte. Par contre, “la sous-merde”, je ne m’y étais jamais habituée.

 

Je n’avais pourtant pas l’apparence typique d’une zéro et je traînais volontiers mes journées sous le soleil du un.

 

Les locataires des quatre étages au dessus et en dessous du niveau un arrivaient et partaient par le haut. Ceux des quatre étages au dessus du niveau zéro le faisaient par le bas.

 

Pour rentabiliser à l'extrême ces accès par le bas et leurs infrastructures inhérentes, les compagnies avaient (pour ainsi dire) généralisé l’ajout de quatre étages en sous-sol.

Véritable sous-sol creusé, sans accès par le bas, sans espace de vie aménagé, simplement le fond, la terre décapée sur toute la surface des zones entre immeubles, et la végétation livrée à elle même.

 

Une loi obligeait les communes à offrir de véritables logements aux sans abri, sans-le-sou. Les communes avaient donc passé des “accords” avec les compagnies immobilières pour qu’elles “offrent” des logements à la moité des prix les plus bas de la zone zéro. Les loyers étaient alors pris en charge par la commune.

 

C’est ainsi que, tout “naturellement” les zones “moins un” furent ajoutées en économisant sur le prix des matériaux et de la main d’oeuvre pour qu’elles deviennent trois fois moins chères à construire et à entretenir que leurs équivalentes en zéro.

 

Il y faisait humide, froid en hiver, chaud en été, les installations se dégradaient rapidement et, la vie étant si bien faite que ceux qui n’avaient rien étaient souvent ceux qui ne réclamaient pas, il n’était pas rare de s’y retrouver plusieurs semaines sans eau, sans sanitaire ou sans électricité. 

 

Ici plus qu'ailleurs la débrouille était devenue loi.

 

Les lois et les aménagements destinés à abroger les effets de ghettos et de zones en imposant le brassage et la cohabitation n’en avaient modifié que la géométrie : d’horizontaux ils étaient devenus verticaux.

 

Les miroirs du “sous zéro” leur envoyaient un semblant de ciel. Les eaux filtrées pleuvaient désorganisées et avaient fini par creuser de petits ruisseaux.

Pendant la journée, la végétation à tous les niveaux diffusait son oxygène. La nuit venue, les miroirs, les vitres, les faux planchers  et toutes les parties mobiles des plateformes pivotaient pour  se placer à la verticale et créer une respiration jusqu’au plus profond du niveau le plus bas.

 

Les nuits d’été j’aimais rester assise contre le bord de ma fenêtre, à prendre le frais aux courants d’air que provoquaient les immeubles, à écouter et respirer les rumeurs provenant des autres niveaux.

Depuis le troisième étage de mon niveau zéro j’entendais des cris d’animaux. J’en avais aperçu un une fois, ça devait être un mouton. Aux sons, je pensais qu’il devait y avoir des poules, et d’autres choses que je ne savais pas reconnaître.

 

Je voyais les “moins un” se rassembler nombreux autour de feux de bois. Il riaient. Ils chantaient et faisaient de la musique avec des guitares.

Les fumées de leurs feux parvenaient parfois jusqu’à ma fenêtre et je sentais alors une curieuse odeur de grillé me donner envie (mais de quoi ?). J’étais quasiment certaine qu’ils faisaient griller des animaux pour les manger.

 

Leurs voix me berçaient jusque tard dans la nuit. 

 

Je connaissais des voisins que ces longs bavardages dérangeaient mais qui ne disaient rien (par peur des représailles ?)

Les gens de “la haute” les appelaient “les zombies” ou “les cadavres”

 

Pendant ces nuits d’été je me sentais “zombie”

 

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